Chez Nous Nouvelles jurassiennes by T Combe

Chez Nous Nouvelles jurassiennes by T Combe

Auteur:T Combe [Combe, T]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Nouvelles
Éditeur: Les Bourlapapey Bibliothèque numérique romande
Publié: 2014-05-24T14:47:32+00:00


— Ah ! monsieur Abdias, vous venez donc nous dire adieu ? fit-elle avec un léger signe de tête. Nous partons demain.

— C’est ce que j’ai appris, madame. Si je peux vous être utile…

— Merci, tout est préparé. Ça fait qu’alors… Voulez-vous entrer un moment ? la famille est à la promenade.

Comme Abdias était venu à la Prise-Jussy dans le but exprès d’y entrer un moment, il avait déjà un pied sur la dernière marche du perron avant que la femme de charge eût achevé sa phrase. Cette hospitalière personne se leva donc avec un soupir et introduisit son visiteur dans un vaste corridor plein d’échos, puis dans une petite pièce antique à boiseries grises qui était son salon particulier, son bureau, et le réceptacle de toutes sortes d’herbes odoriférantes éparpillées un peu partout.

— Vous avez fait une bonne récolte de tilleul, à ce que je vois, dit Abdias en prenant sur une feuille de papier gris une pincée de fleurs d’un vert doré qu’il laissa ensuite retomber une à une, savourant le parfum subtil qui s’en dégageait.

— Oui, mais la bourrache a peu donné, et mon gros buisson de lavande a été réduit à rien par la chèvre de M. Edmond, à qui l’on passe toutes ses fantaisies. Ça fait qu’alors.

Mme Arnaudin employait volontiers cette locution, qu’elle prononçait d’un ton concluant et péremptoire, sans points de suspension dans la voix, mais au contraire avec un gros point final qui tranchait la question. « Ça fait qu’alors » signifiait : Tout est réglé, allez-vous-en, mon ami ; ou bien : J’ai mon idée là-dessus, je n’en changerai de ma vie ; ou bien, suivant les circonstances, une foule d’autres choses catégoriques et définitives.

— Prendrez-vous un verre de limonade, monsieur Abdias ? demanda la femme de charge après quelques instants de conversation.

— Volontiers, madame, puisque c’est un effet de votre bonté, répondit Abdias sans la moindre hésitation.

En toute autre circonstance, l’offre de Mme Arnaudin n’eût été acceptée, suivant le cérémonial rustique, qu’après dix minutes de refus polis et d’insistances non moins polies, mais Abdias avait hâte de se trouver seul dans le petit salon aux boiseries grises. À peine Mme Arnaudin eut-elle disparu dans le corridor, qu’il se leva, fit deux pas, puis, immobile comme un soldat au port d’armes, il regarda droit devant lui. Au milieu du panneau enguirlandé qui lui faisait face montait du plancher jusqu’au plafond une glace étroite et verdâtre, où son image se reflétait en pied. Il recula lentement jusqu’au fond de la pièce, puis, pour se voir marcher, il vint à la rencontre de cet autre lui-même, sur lequel il fixait des yeux prodigieusement fixes et scrutateurs. Le quelque chose de militaire qui distinguait son allure ne lui déplut point ; il en accentua même la raideur en jetant les épaules en arrière, en redressant le menton, comme s’il eût été dans les rangs. Il se trouva de taille raisonnable, bien proportionné, les bras un peu longs peut-être et les jambes un peu maigres, mais l’impression générale était favorable.



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